Die Hauptstadt - Robert Menasse


« Des intérêts nationaux ne sont généralement que les intérêts des élites nationales politiques et économiques, dans la comptabilité desquelles les populations ont seulement peu d’importance. »
Jean Monnet


L'oeuvre et son auteur

Robert Menasse est né à Vienne en Autriche en 1954, il a donc aujourd’hui 63 ans et est un écrivain et traducteur. Il a reçu de nombreux prix tout au long de sa carrière d’écrivain mais le plus important reste le Prix du livre allemand en 2017 (Deutscher Buchpreis) qui élit le meilleur roman allemand de l’année lors du début de la Foire du livre à Francfort (« Frankfurter Buchmesse ») pour son livre Die Hauptstadt qu'on va vous présenter plus en détail dans cet article.



"L'humanité est une notion aussi louable que fragile, Robert Menasse le démontre avec insistance dans son roman Die Hauptstadt, qui a pour décor l'Union Européenne. Dans un texte à la dramaturgie très réussie, il explore les profondeurs de ce monde qui est le nôtre. […] Robert Menasse remplit ici parfaitement l'exigence qu'il s'était imposée : esquisser un panorama littéraire de son temps permettant à la fois aux contemporains de s'y retrouver pleinement et aux générations futures de mieux comprendre notre époque", a affirmé le jury dans un communiqué. L’oeuvre est qualifiée de livre traitant de l’agitation politique à Bruxelles tel un plaidoyer pour une Europe abordée au-delà des égoïsmes nationaux. Le jury du Prix du Livre Allemand ajoute également que « Le livre de Menasse indique clairement que l’économie seule, ne pourra pas nous garantir un futur pacifique. » L’humain est en permanence dans la recherche, il n’est jamais fiable : dans son roman, Menasse montre d’une manière remarquable que ce principe vaut également pour l’Union européenne.”

Contexte et motivation

Robert Menasse a écrit ce livre à l’occasion du 60ème anniversaire des Traités de Rome, signés en 1958, qui ont donné naissance à l’Union Européenne. L’auteur lui-même est né en 1954 et il souligne le fait qu’il a donc pu suivre le développement de la communauté européenne dès son début.

Avec la publication de ce livre, il souhaite véhiculer un message politique et moral afin de soutenir l’idée de l’importance du caractère supranational de l’Europe. Il essaie ainsi d’illustrer son opinion concernant le rôle actuel de l’Europe. Pour cela il dépeint - dans Die Hauptstadt - la vie des gens travaillant dans les institutions européennes en décrivant le quotidien de ces “eurocrates” et il met l’accent sur le fait qu’on peut constater une montée du nationalisme en Europe (et aussi aux États-Unis) alors qu’il soutient une Europe des régions.
La plus grande motivation de Robert Menasse dans ce contexte était la difficulté de littéraliser l’Europe. De cette manière, il tente de répondre à la question suivante: Peut-on ou non raconter l’Union Européenne, à savoir mettre en prose la vie de cette entité immatérielle qui est pourtant présente à chaque seconde de nos vies.
L’écrivain insiste sur le fait de vouloir « demeurer le maître de sa vie » et exprime le besoin de comprendre ce qui se passe. C’est pourquoi il a choisi ce qu’il appelle « l’hétéronomie de Bruxelles » en tant que sujet principal pour son nouveau roman.

« Pour continuer à développer cette idée d’une Union Européenne, nous devons critiquer tout ce qui ne fonctionne pas et pour ce faire, nous devons comprendre le fonctionnement dans son ensemble. Quelles sont les personnes qui y travaillent ? En quoi consiste leur travail ? Il y aurait beaucoup à raconter ; il est important de montrer que l’UE n’est pas une entité abstraite. Tout ce qui s’y déroule est fait par des hommes ; on peut et on doit raconter ce qu’ils font. C’est ainsi qu’on parvient à observer son époque, à mieux la comprendre et à intervenir ! » 

Résumé

L’oeuvre se déroule principalement à Bruxelles. C’est l’organisation du « Big Jubilee Project » dans le cadre du 50ème anniversaire de la Commission Européenne en 2008 qui représente l’action centrale du livre. Tout au long de la narration, plusieurs personnages apparaissent les uns après les autres, tous ayant un impact plus ou moins important sur l’événement. Tous les personnages sont en fait les protagonistes de leurs propres histoires qui se déroulent toutes en parallèles, qui se croisent aussi parfois. La diversité entre tous les personnages, qu’elle concerne par exemple la nationalité, l’âge, le métier, est absolue. Nous allons donc, pour illustrer ce réseau dense d’actions, présenter quelques personnages importants du roman.

Fenia Xenopoulou
Pendant sa jeunesse, Fenia Xenopoulou a quitté son pays d’origine, Chypre, pour faire ses études en Grèce. Bien que, à l’époque, Chypre ne soit pas encore membre de l’Union Européenne, Fenia a réussi à postuler à la Commission Européenne de Bruxelles avec son passeport grec.
Récemment, elle a été mutée de la direction générale du commerce à la direction générale de l’éducation et de la culture. Pour elle, ce changement représente une régression, car le domaine de la culture à la réputation d’être sans importance. Elle a de plus étudié l’économie à Athènes, Londres et Stanford ce qui n’a rien à voir avec ses missions actuelles.
Quand la direction générale de la communication de l’UE stimule une fête lors du 50ème anniversaire de la Commission européenne. Fenia Xenopoulou s’empare du « Big Jubilee Project », parce qu’elle y voit la possibilité de se faire remarquer de façon frappante afin d’être à nouveau promue dans une autre direction générale . Elle charge son référent, Martin Susmann, de l’organisation du projet.

Martin Susmann
Il est chef du département de la direction générale de l’éducation et de la culture de la Commission. Pendant qu’il travaille sur le « Jubilee Project », en tant que représentant de la Commission Européenne il se déplace à Auschwitz lors de l’anniversaire de la libération des derniers prisonniers du camp d’extermination. Cette commémoration est la raison à son idée de mettre la ville d’Auschwitz au centre du « Jubilee Project ». Selon lui, ce sont les événements qui se sont déroulés à Auschwitz qui ont rendu envisageable une institution supranationale telle que la Commission Européenne.
Après qu’il ait réussi à convaincre Fenia de cette mission, ils cherchent des personnes ayant non seulement survécu au camp d’extermination mais qui peuvent également les renseigner à ce sujet.


Alois Erhart
Un laboratoire d’idées (Think Tank) doit élaborer des propositions pour surmonter la crise de l’Union Européenne et pour son renouvellement. Alois Erhart, veuf et professeur d’économie politique en retraite venant de Vienne, fait partie des membres du « Reflection Group New Pact for Europe ».
Pendant un discours devant ce groupe, il soutient l’idée selon laquelle des états nationaux concurrents ne conviennent pas à une économie mondialisée. Ils devraient donc se regrouper dans une organisation supranationale. Pour promouvoir cette Union Européenne développée, Alois Erhart propose de ne délivrer plus qu’un passeport européen unique. D’ailleurs, l’Union devrait avoir une capitale, et celle-là ne pourrait être que Auschwitz.

Un grand nombre des actions secondaires, grâce auxquelles Robert Menasse traite de nouveaux sujets, sont liées au commissaire Émile Brunfaut.
Le cadavre d’un homme est retrouvé dans l‘hôtel Atlas à Bruxelles. Il avait présenté un passeport contrefait à la réception. De plus, la police ne trouve aucune indication sur son identité. Le commissaire Brunfaut mène l’enquête et va bientôt tomber sur des incohérences.
C’est ainsi que l’auteur combine son roman politique avec d’autres genres littéraires comme par exemple celui du roman policier.
Dans die Hauptstadt, la question du meurtre est liée à celle du terrorisme, qui est ici catholique. Robert Menasse montre ainsi que le terrorisme n'est pas exclusivement le fait d'un Islam radical.

Un Roman Satirique

Comme vous l’avez probablement remarqué, le roman de Robert Menasse est une oeuvre assez satirique écrite dans un style très particulier. On peut lire dans le livre que Martin Susman veut placer le camp d’Auschwitz au centre du “Jubilée Project” en invitant les derniers survivants du camp qui ont tous plus de 80 ans. Alois Erhart veut lui introduire un passeport européen et souhaite désigner Auschwitz comme capitale de l’Union Européen. Les points de vues des personnages sont donc relativement particuliers et se rejoignent sur la volonté de mettre l’accent sur l'holocauste (même si les deux personnages ne se connaissent pas).
Le roman est basé sur de nombreuses perspectives grâce à la multitude de personnages qui sont tous introduits dans le prologue autour de l’arrivée d’un cochon dans les rues de Bruxelles. Il y en a 6, mais d’autres apparaissent au fur et à mesure que l’action se déroule. Il n’y pas de personnage principal et le lecteur peut d’ailleurs avoir la sensation de se perdre entre toutes les différentes destinées.

Le Motif du cochon

Le cochon traverse le roman comme s’il accompagnait le déroulement de l’histoire. La première phrase de l’oeuvre est d’ailleurs: “Da läuft ein Schwein” (“Il y a un cochon”). La dernière phrase est elle: “Es ist verschwunden. Spurlos verschwunden” (“Il a disparu, sans laisser des traces”).
Nous avons constaté qu’il y a un parallèle entre le cochon et l’Union Européenne : En Allemagne, il y a des expressions positives autour du cochon comme “Glücksschwein” (le cochon comme porte bonheur), mais aussi négatives comme “Drecksau” pour insulter quelqu’un ou pour désigner quelqu’un qui se salit vite. Avec l’UE c’est pareil. Il y a des avis positifs et négatifs et personne ne sait que penser de cette institution supranationale.
Bien sûr, cela dépend aussi du pays auquel on s’intéresse. On le voit d’ailleurs avec le symbole du cochon car les expressions autour du cochon ne sont pas les mêmes en Allemagne et en France par exemple. En francais : “Manger comme un cochon” : manger salement. La figure du cochon est en effet différente en France et n’a pas une si grande diversité qu’en Allemagne. L’oeuvre perdrait donc toute sa singularité en étant traduite en français. Cela légitimise l’écriture de l’oeuvre en allemand par Menasse, germanophone. 

A travers les différents traits de caractère et émotions des personnages, l’auteur démontre que derrière leur facette d’acteurs au sein de l’Union Européenne, toutes ces personnes restent des êtres humains avec tout le lots de difficultés et de malheurs que cela implique. Par exemple, Martin Susman, haut placé au service culturel de la Commission européenne, est lui décrit comme mélancolique, presque dépressif. Il y a notamment une scène au cours du roman où il se préoccupe de l’origine de la moutarde comme si elle était une chose sacrée pendant qu’une saucisse est en train de brûler dans la cuisine. 

Critiques

À côté des critiques positives qui expliquent et justifient le choix du roman pour le Deutschen Buchpreis on entend également des voix moins glorifiantes. Le Tagesspiegel par exemple intitule : « Robert Menasse schreibt Europa kaputt ». Selon l’auteur de cet article, Robert Menasse fait une description catastrophique de l’Europe et la qualifie de construction fédératrice dans son livre qui ne serait pas un roman mais un manifeste politique complètement absurde. C’est pourquoi il rejette les thèses de l’Autrichien qui aboutiraient toutes au résultat selon lequel le nationalisme finirait forcément par une période d’holocauste. La seule conclusion logique serait l’idée de surmonter le principe des états nationaux en créant un seul état européen. À ce sujet, on pourrait se demander si ce ne serait pas cette tentative même de grande unification qui provoquerait un développement si important des mouvements nationalistes.
Il y a toutefois des critiques qui mentionnent la manière rationaliste avec laquelle Robert Menasse arrive à pointer cette problématique centrale de l’Europe politique, la concurrence existant entre la Commission et le Parlement européen.


Nous  recommandons fortement ce livre car il est très bien écrit tout en démontrant une toute autre perspective de l'Union européenne.

Elisa Eveilleau, Julia Gaydoul, Vanessa Scheid
Etudes franco-allemandes

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